R122 : Dynamique et enjeux de la déforestation mondiale, par Alain Karsenty

Les puits de carbone terrestres se sont effondrés. En 2023, forêts et sols ont seulement absorbé entre 1,5 et 2,6 Gt de CO2, loin derrière les 9,5 de 2022, ou les 7,3 Gt d’absorption nette (déforestation et autres changements d’usage des terres pris en compte) en moyenne annuelle sur la dernière décennie (Ke et al., 2024). Comme une bonne partie du Brésil brûle, avec des feux de forêts sur plus de 11 millions ha, 2024 risque fort de ressembler à 2023, avec des écosystèmes qui ne parviennent plus absorber au moins 1/4 des émissions anthropiques, comme c’était le cas ces dernières années.  Dans cette publication Alain Karsenty revient sur le problème de la déforestation mondiale, et les priorités politiques qu’il conviendrait de mettre en œuvre.

(Introduction)

Les forêts constituent un gigantesque stock de carbone accumulé dans la biomasse des arbres, leurs racines et les sols : un stock estimé à 862 gigatonnes de carbone (Gt C) au tournant du millénaire par Pan et al.  (2001) (1), dont 55% dans les forêts tropicales. Elles sont aussi des puits de carbone, du fait de leur fonctionnement, croissance et expansion à l’échelle mondiale, même si l’efficacité de ce puits décroit.

 

(1) : Notons toutefois que la valeur estimée par la FAO pour ce stock à la même date est inférieure : 662 GtC (FAO, 2000).

Dans les années 2010, l’ensemble des forêts absorbaient environ 7,6 milliards de tonnes de CO2 (équivalents à 2 Gt C) par an, soit 1,5 fois la quantité émise annuellement par les États-Unis. Ainsi, environ un quart des émissions anthropiques annuelles de CO2 étaient absorbées par les forêts. Cependant, si les forêts tempérées et boréales demeurent de puissants puits de carbone, l’Amazonie émet aujourd’hui presque autant de dioxyde de carbone qu’elle n’en absorbe et seules les forêts d’Afrique centrale restent un puits de carbone significatif dans la zone tropicale (Harris et al., 2021 ; Baccini et al., 2017). En 2023, les puits terrestres (forêts et sols) ont seulement absorbé entre 1,5 et 2,6 gigatonnes de CO2, loin derrière les 9,5 gigatonnes de 2022, ou les 7,3 gigatonnes d’absorption nette (déforestation et autres changements d’usage des terres pris en compte) en moyenne chaque année sur la dernière décennie (Ke et al., 2024). Les sécheresses, qui accroissent la mortalité des arbres, et les mégafeux au Canada, en Sibérie et dans plusieurs pays d’Amérique du Sud, sont les principales causes de cet affaissement des puits, mais l’augmentation des températures est également impliquée − la végétation absorbant moins de CO2, voire devenant source nette d’émission à partir de 32°C de température (Sullivan et al., 2020).

 

Par ailleurs, on estime que les forêts abritent 80 % des espèces terrestres (i.e. non aquatiques) connues (estimation du WWF :), dont les deux tiers dans les forêts tropicales. Pillay et al. (2022) estiment notamment que les forêts tropicales abritent 62% des espèces de vertébrés terrestres. Quant au cycle global de l’eau, non seulement les grandes forêts, comme l’Amazonie, fabriquent leur propre pluie par la transpiration des arbres, mais le transport à longue distance de l’humidité par des « rivières célestes » entraîne des précipitations à des milliers de kilomètres (Elllison D. et al. 2017).

 

Du fait du caractère global de leurs fonctions et services, les forêts sont souvent qualifiées de « patrimoine commun » de l’humanité ou, de manière plus savante, de « bien public mondial ». Considérer les forêts mondiales comme relevant de cette catégorie ne serait pas sans conséquence sur le plan des relations internationales. Cela constituerait un argument en faveur d’une convention internationale spécifique, convention refusée par de grands pays forestiers du Sud, comme le Brésil qui repousse avec constance toute idée d’« internationalisation » de l’Amazonie.

 

Les forêts du monde peuvent être vues à travers un double prisme : celui des ressources qu’elles abritent (bois, foncier, ressources génétiques…) et celui des services écosystémiques qu’elles fournissent (puits et stock de carbone, réservoir de biodiversité, régulation hydrique, cycle local des pluies…). Les ressources sont sous la souveraineté des États et sont appropriées de différentes manières par des acteurs publics ou privés (dont des communautés). Les services peuvent être, quant à eux, considérés comme des « biens publics mondiaux », dont la production continue dépend des modes d’utilisation des ressources.

 

Bien sûr, la souveraineté de l’État-nation sur ses ressources naturelles n’exclut pas que celui-ci ait des obligations vis-à-vis des autres et doive respecter les règles internationales auxquelles il a consenti. D’où l’importance des traités internationaux pour protéger ces écosystèmes.

 

La déforestation

La déforestation correspond à un changement permanent d’usage des terres. L’Organisation des Nations-Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) définit les forêts comme des terrains porteurs d’arbres capables d’atteindre au moins 5 mètres de hauteur à maturité, et dont la couverture occupe au moins 10% d’une surface de plus d’un demi-hectare. Cela inclut les boisements naturels et les plantations forestières, mais exclut les rangées d’arbres établies pour la production agricole (comme les arbres fruitiers) et les arbres plantés dans des systèmes agroforestiers. De là, la FAO définit la déforestation comme la conversion de la forêt pour une utilisation différente du terrain ou la réduction à long terme du couvert arboré en dessous du seuil minimum de 10%. Les forêts entièrement coupées, mais destinées à être reboisées naturellement ou artificiellement ne sont pas comptabilisées dans la déforestation. Pas plus que les forêts détruites par des incendies quand les terres ont vocation à redevenir boisées.

 

Selon la FAO, sur la période 2000-2018, la déforestation brute (c’est-à-dire sans prendre en compte la régénération naturelle et les plantations) s’est élevée, en moyenne, à 7,8 millions ha/an. La déforestation nette, sur la même période, s’est élevée à 3,1 millions ha/an. Par rapport à la décennie précédente, la tendance est à la baisse.

 

Beaucoup d’activités productives durables, comme l’exploitation du bois, entraînent une dégradation, c’est-à-dire une réduction de la capacité de la forêt de fournir des biens et des services). Mais, dans le cadre d’une bonne gestion forestière, cette dégradation reste limitée et est réversible. Il en va de même pour certaines formes d’agroforesterie (comme le cacao sous ombrage forestier) ou la collecte de bois de feu dans les forêts sèches. L’enjeu, alors, n’est pas de vouloir éviter toute dégradation, mais de maîtriser les facteurs qui la provoquent afin de la contenir dans des limites viables.

 

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