Dominique Bourg : « Une réforme vigoureuse du système de l’information est urgente »LE MONDE

Pour sensibiliser les citoyens au dérèglement climatique, il faut que les médias regagnent leur confiance, en redevenant généralistes et transparents, préconise le philosophe dans une tribune au « Monde ». Tribune. Uchronie : nous sommes au début des années 1970. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) vient de publier son énième rapport. Le climat est depuis le début de la décennie celui que nous connaissons nous-mêmes depuis 2018. Les événements extrêmes s’affolent.

 

Après le coup de semonce du GIEC, la publication du premier rapport de l’IPBES (Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) sur la chute des populations d’insectes et celle du rapport Meadows sur la raréfaction des ressources, suscitent un immense écho international. La Communauté européenne adopte le plan Mansholt de décroissance de la zone, juste avant la tenue d’une COP à Bonn (Allemagne).

 

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Pourquoi un déphasage de quelques décennies entre évolution des sociétés et dérèglement climatique aurait probablement permis ce que nous sommes incapables d’apporter aujourd’hui, soit une réponse vigoureuse ? Pour influer sur le quotidien et gouverner avec les citoyens, il faut être global (à l’échelle locale des choses se font, mais elles ne constituent que des micropoches). Or, au global, se pose actuellement le problème de la réception d’informations utiles et pertinentes.

Darwin et Einstein vs Musk et Bezos

 

Qu’en était-il dans les années 1970 ? Il n’existe alors ni Web, ni réseaux sociaux, seulement quelques chaînes de télévision publiques, avec peu de publicité. Pas de concurrence entre des chaînes marchandes. S’y ajoutent quelques radios. Les médias sont donc généralistes, ils s’adressent à toute la société. Ils construisent ainsi au quotidien un monde grosso modo factuellement commun. Pas de niches en termes d’âge, d’opinion, etc., et un complotisme marginal, contrairement à la situation en 2022.

 

A l’époque, les scientifiques en imposent encore, et les héros populaires sont Darwin et Einstein, et non des hommes d’affaires, à l’instar de Musk et de Bezos aujourd’hui. Enfin, le clivage Est-Ouest permet un cadrage lisible et partagé des grandes options idéologiques. Le poids cumulé des données scientifiques sur l’état de la planète eut été tout autre. A contrario, il suffit de regarder la façon dont l’information est traitée dans le tout récent film Don’t Look Up… pas même une parodie. La trajectoire d’une comète menace la Terre de destruction, l’information est tournée en dérision, des forces politiques encouragent les citoyens à ne pas regarder le ciel !

 

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Autre raison, la proximité dans les mémoires de la nature sensible, des paysages traditionnels, du monde animal domestique ou sauvage. Les hommes au pouvoir dans les années 1970 ont en effet connu la France précédant le remembrement avec ses campagnes traditionnelles, et même celle d’avant les « trente glorieuses ». L’idée que cette nature puisse être détruite rapidement y aurait eu une tout autre résonance que pour des générations nées au milieu d’artefacts, entre béton et écrans.

 

Réduire les effets pervers

 

J’en veux pour preuve l’amour des arbres de Pompidou, sa sensibilité à la « précarité de notre univers terrestre », et sa défense d’une « morale de l’environnement ». Les autoroutes et la vitesse d’un côté, les départementales bordées de platanes et les paysages de l’autre. Plus généralement, pour cette génération, l’idée que la modernité puisse nuire au bien-être, à son fondement naturel et paysager, était inaudible. Or, c’est précisément ce qu’elle aurait été contrainte de ressentir avec le déphasage que je propose. Je gage que la prise de conscience eut été effective. De toute évidence, nous, nous ne ressentons désormais plus rien.

 

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